Thursday, December 07, 2006

La formation des imams échappe au contrôle de l'État

LE FIGARO

Les récentes tentatives de faire émerger un islam à la française se heurtent à la résistance des pays d'origine, soucieux de conserver leur influence.

LA FORMATION des imams devait être la clé de voûte d'un islam apaisé, intégré à la République, d'un islam français. Elle reste précaire, peu contrôlée et de plus en plus dispersée. À Lille, l'ancien président de la Fédération des musulmans de France (FNMF, proche du Maroc) vient d'ouvrir l'institut Avicenne. Mohammed Bechari a longtemps siégé au CFCM où on peinait à le classer. Évincé depuis de cette instance, il s'est replié sur ce projet d'institut, profitant de ses liens avec les pays du Golfe au sein de la Ligue islamique mondiale pour obtenir un financement. Le Qatar et la Libye ont promis d'assurer les 330 000 euros de fonctionnement annuel de l'institut, sans s'immiscer dans les contenus. La mairie de Lille a fourni le bâtiment en plein centre-ville et signé un bail emphytéotique. « Un coup de pouce de mon amie Mar­tine Aubry qui n'a pas besoin de ­cela pour obtenir les voix des musulmans », assure Mohammed Bechari, qui entretient depuis longtemps des liens avec le PS local.

Réalités de la société occidentale

Samedi dernier, une douzaine d'élèves ont suivi leur premier cours, surtout des filles voilées, qui étudient par ailleurs. « On cherche à mieux comprendre l'islam et à enrichir nos connaissances. On viendra à l'institut le week-end et le soir », ont-elles expliqué. À moyen terme, « des cadres religieux ­(imams et aumôniers) seront aussi formés en langue française, initiés à l'éducation civique et dotés des outils pour faciliter l'intégration dans la République laïque fran­çaise », explique Mohammed Bechari, qui entend bien participer à l'avenir de l'islam de France.

Dans une logique plus académique, des universitaires veulent mettre à profit le concordat pour monter une université privée de sciences islamiques à Strasbourg, autour du spécialiste Francis Messner et d'intervenants venus d'universités islamiques. Ils se sont réunis la semaine dernière pour des journées de réflexion. Le projet démarre seulement et pourrait incarner un islam plus savant qu'adapté aux nécessités des communautés.

Enfin, à Lyon, le centre Shâtibî fonctionne depuis septembre, monté par des disciples des frères Ramadan. Il forme des « cadres » musulmans, dont beaucoup pourraient à terme faire office d'imams, dans un islam qui ne fonctionne pas sur le modèle du clergé catholique et autorise le plus savant de l'assemblée à ­conduire la prière.

Ces initiatives relancent les craintes de voir importer en ­France une formation traditionnelle, parfois fondamentaliste ou imperméable aux réalités de la ­société occidentale. Mais surtout marquent l'échec d'une formation labellisée que l'État appelait de ses voeux. Le Conseil français du culte musulman (CFCM), crée par Nicolas Sarkozy en 2003, devait s'atteler à ce chantier prioritaire. Mais les pays d'origine ou le mouvement des Frères musulmans ne voulaient pas renoncer à leur ­influence, en renonçant à envoyer en France leurs imams.

De son côté, l'administration a bien tenté d'organiser une filière opérationnelle et transparente, mais sans aller jusqu'au bout, ­gênée aux entournures par « le respect de la laïcité ». C'est d'ailleurs en son nom que les universitaires de Paris-IV ont refusé en 2005 d'accueillir des étudiants religieux dans un cycle profane de connaissance de l'histoire et des institutions françaises, faisant capoter les derniers espoirs du ministère de l'Intérieur.

Pour l'instant, l'immense majorité des imams vient de l'étranger (lire ci-dessous). Et pourtant, la France compte trois centres de formation depuis les années 1990. « Ces trois centres forment moins d'une dizaine d'imams par an », estime un conseiller à l'Intérieur. Beaucoup d'étudiants s'inscrivent pour obtenir des papiers et ne terminent pas leur cursus. D'autres diplômés ne parviennent pas à ­vivre de leur ministère.

Face à ce maelström, les pouvoirs publics ont revu leur stratégie, en contrôlant les prêches a posteriori, dans les mosquées. Mais l'enjeu d'un islam éclairé dépasse largement la question des imams. Chaque année, des dizaines de milliers d'enfants suivent des cours d'arabe ou d'éducation coranique dans la plus totale opacité.

Par ailleurs, la diffusion d'un islam français repose aussi largement sur les leaders associatifs, qui discutent au quotidien avec les jeunes. La profusion d'instituts pourrait créer des cadres instruits, mais aussi des cadres adeptes d'un islam plus rigoriste que celui qui était pratiqué par la génération précédente.

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