Wednesday, September 27, 2006

Un opéra retiré en Allemagne par peur de réactions islamiques

Il y a trois ans, la scène finale d'Idoménée, opéra de Mozart joué au Deutsche Oper de Berlin, avait juste causé quelques remous. A l'issue de l'ultime note, Idoménée, le roi de Crète, revenait sur scène avec un sac ensanglanté. Contrairement au livret, le personnage ne sortait pas la tête de son fils, réclamée par Poséidon pour pouvoir retourner sur son île, mais celles du dieu de la mer, de Jésus, de Bouddha et de Mahomet.
Aujourd'hui, cette scène, imaginée par le metteur en scène Hans Neuenfels, vaut l'annulation des représentations de cette oeuvre, qui devait être rejouée en novembre, de peur qu'elle ne suscite des réactions parmi les musulmans.

Au nom du principe de précaution, la direction du Deutsche Oper, l'une des trois salles d'opéra de Berlin, a décidé, lundi 25 septembre, de déprogrammer Idoménée et de proposer à la place Les Noces de Figaro et La Traviata. Il en va de "la sécurité du public et des collaborateurs de l'opéra", plaide la directrice de l'établissement, Kirsten Harms. La police régionale de Berlin avait en effet mis en garde la direction de l'opéra contre d'éventuelles réactions inopportunes de la part de musulmans susceptibles d'être offensés. La police a affirmé ne pas avoir été informée de menaces à l'encontre du Deutsche Oper. Tout juste a-t-elle reçu, en juin, un coup de téléphone anonyme d'une personne ayant vu Idoménée qui s'inquiétait de l'impact de la scène finale. La police s'est "contentée" de faire part de l'évolution de la situation après les réactions suscitées par l'affaire des caricatures de Mahomet.

Publiés à l'automne 2005 dans un quotidien danois puis dans d'autres pays dont l'Allemagne, ces dessins avaient provoqué la colère de bon nombre de musulmans de par le monde. La représentation blasphématoire du prophète aurait été l'élément décisif ayant incité des jeunes Libanais à vouloir commettre des attentats à la valise piégée, le 31 juillet, dans deux trains régionaux allemands. Mal conçues, les valises n'avaient pas explosé.

La décision surprise du Deutsche Oper a suscité un vaste débat sur la liberté d'expression. Peut-on renoncer à ce principe sans aucun débat, à la simple évocation d'une éventuelle menace ? Quand bien même la menace serait vraisemblable, doit-on reculer de la sorte ? L'annulation d'Idoménée ne revient-elle pas à donner raison aux extrémistes de tous bords ?

La polémique va bon train outre-Rhin. Les responsables politiques, notamment, ont dénoncé, tant à droite qu'à gauche, cet "acte d'autocensure". Hans Neuenfels, l'auteur de la mise en scène, a reproché à la directrice du Deutsche Oper d'avoir cédé à "l'hystérie".
Tout en affirmant qu'Idoménée reviendrait un jour à l'affiche, Mme Harns a tenu face au tollé de critiques. Elle soutient que si un incident avait eu lieu lors des quatre représentations prévues, on lui aurait reproché de ne pas avoir tenu compte des avertissements de la police et du contexte tendu autour du thème religieux.

Une des rares personnalités à avoir approuvé sa décision est le président du Conseil de l'islam, une des organisations représentant les quelque trois millions de musulmans - en grande majorité des Turcs - résidant en Allemagne. Ali Kizilkaya aurait souhaité qu'Idoménée, dans la mise en scène d'Hans Neuenfels, n'ait même jamais eu lieu.
Antoine Jacob (Le Monde)

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