Monday, November 21, 2005

Le Sabre et le Coran

Critique du livre Le Sabre et le Coran sur le site du CRIF



Paul Landau, Le sabre et le Coran. Tariq Ramadan et les Frères musulmans à la conquête de l’Europe…
Date : 13-05-2005

Ces derniers mois, de nombreux ouvrages ont été publiés sur l’Islamisme. Cette dernière enquête sur Tariq Ramadan et les Frères musulmans est assez remarquée, quoique critiquable. Elle est due à un chercheur spécialiste de l’islamisme, auteur de nombreux articles, et d’un rapport sur l’UOIF. L’auteur revient longuement sur la création de l’organisation des Frères musulmans qui a été fondée en 1928 en Egypte, en réaction à l’occupation britannique et dans un contexte difficile, d’un immense désarroi dans le monde musulman. Paul Landau s’intéresse plus particulièrement à son fondateur Hassan Al-Banna (le grand-père de Tariq Ramadan), qui enseigne dans une école secondaire d’Ismaïlia. Siège de la Compagnie du canal de Suez, Ismaïlia est une ville très européanisée. Pour Hassan Al-Banna, toutes les manifestations de l’influence européenne sont autant de signes de la « corruption occidentale ». Aussi décide-t-il de prêcher le retour à l’Islam. Landau examine également le rôle qui a été joué par Sayyid Qutb, le véritable idéologue des Frères musulmans. Qutb estimait qu’il n’existe pas d’autre voie que celle de l’islam, sinon le retour à la barbarie et la critique radicale de l’Occident faite par Qutb s’accompagnait d’un antisémitisme virulent.

En 1945, à leur apogée, les Frères musulmans comptent un demi million de membres actifs et presque autant de sympathisants, chiffre considérable qui attestent de leur importance dans la vie politique égyptienne. Ils sont devenus un mouvement de masse, dont l’organisation et l’idéologie sont inspirées des régimes autoritaires des années 30. Dans un article publié en 1938, intitulé « L’industrie de la mort », Hassan Al-Banna expose la stratégie des bombes humaines, cinquante ans avant leur utilisation effective. Il y écrit notamment : « A une nation qui perfectionne l’industrie de la mort et qui sait comment mourir noblement, Dieu donnera une vie honorable dans ce monde et la grâce éternelle dans le monde futur ». Vers la même époque, Al-Banna évoque le thème du « martyr dans le sentier de Dieu », lors d’un discours prononcé à un congrès national contre la présence des Anglais en Egypte et au Soudan.

Paul Landau consacre de longs développements pour parler en particulier des liens qui unissent l’ancien Mufti de Jérusalem Haj Amin Al-Husseini qui rencontrera Adolf Hitler en 1941, les Frères musulmans et l’Allemagne nazie. Selon le chercheur, ces liens ne furent pas seulement le résultat d’une alliance de circonstance, pour lutter contre leur ennemi commun, l’Angleterre. Ils traduisaient une convergence idéologique et politique, dont témoignent de nombreuses déclarations. L’implantation des Frères musulmans en Europe fait l’objet d’une longue étude. C’est le père de Tariq Ramadan, Said –dont la personnalité est beaucoup moins connue en Occident que celle de son grand père- qui a implanté le mouvement des Frères musulmans en Europe, au début des années 1960, et créé le Centre islamique de Genève, qui servira de modèle aux nombreux centres similaires créés dans les années 1970, 1980, 1990. Paul Landau estime que Said Ramadan a transformé la Confrérie d’un mouvement politique égyptien en un réseau international, implanté dans cinq continents, doté de multiples ramifications et d’une infrastructure financière très développée : c’est lui, en un seul mot, qui est le créateur de l’internationale islamique. De son père, affirme l’auteur, Tariq Ramadan a hérité un engagement total en faveur de la cause islamiste, et aussi un perpétuel va-et-vient. Tariq Ramadan est un militant de l’Internationale islamiste, toujours en déplacement, d’un pays à un autre, d’une Oumma à une autre, d’un front à un autre. Justement, Paul Landau examine comment ce militantisme sans frontière se traduit dans les faits et comment Tariq Ramadan poursuit et intensifie le travail de propagande et le dévouement de son père au service de la da’wa, la propagation de l’islamisme dans le monde.

L’enfance dorée du jeune Tariq, dont la religion ne tenait pas une place très importante dans sa jeunesse, interpelle l’auteur. C’est la rencontre avec le dirigeant islamiste soudanais Hassan Tourabi, qui, in fine, bouleversera le destin de Tariq Ramadan. Tourabi a élaboré une stratégie d’ensemble qui vise à l’islamisation de la société « par le haut », c'est-à-dire la conquête du pouvoir par une « avant-garde » éclairée, donnant corps au sens d’élite intellectuelle. Un autre emprunt fondamental de Tariq Ramadan à la doctrine de Hassan Tourabi concerne la place de la femme dans la société. Tout comme Tourabi, Tariq Ramadan prône à la fois le rejet de l’égalité entre hommes et femmes des sociétés modernes occidentales, et le confinement de la femme au foyer dans les sociétés musulmanes traditionnelles. Enfin, comme Hassan Tourabi, Tariq Ramadan a également un indéniable talent pour manipuler les médias occidentaux, en donnant de lui une image modérée et en pratiquant un double discours adapté à l’auditoire auquel il s’adresse…Dans toute la seconde partie de l’ouvrage, l’auteur scrute les réseaux islamistes de Tariq Ramadan. Il évoque notamment les partenaires du réseau Présence musulmane, qui appartiennent à trois cercles distincts : « laïques », « interreligieux » et « mouvements sociaux ». Le groupe interreligieux comporte les noms de Michel Bertrand, de l’Eglise réformée de France, du père Michel Lelong, du groupe d’Amitié islamo-chrétien, et de Gilles Couvreur, du Secrétariat des relations avec l’Islam. L’auteur consacre par ailleurs de nombreuses pages pour parler des « alliés chrétiens » de Tariq Ramadan ou de l’altermondialisme de Tariq Ramadan. Le groupe des « associations et des mouvements laïcs » comportent trois organismes, notamment (selon l’auteur) la CFDT, la Ligue de l’Enseignement et la LDH. Enfin, le groupe des « mouvements sociaux » comporte les associations suivantes : ATTAC, Casseurs de Pub, Confédération paysanne, Droit au Logement, Droits Devant, G10-Solidaires et le Mouvement de l’immigration et des Banlieues.

Ce sont ensuite les discours et les stratégies de Tariq Ramadan qui sont observées à la loupe, dans la troisième partie de l’ouvrage. En conclusion, Paul Landau rejette la distinction souvent faite entre jihadistes disciples de Ben Laden et « islamistes modérés » (Qaradawi, Ramadan). La principale différence entre Ben Laden d’une part, Qaradawi et Tariq Ramadan d’autre part, résiderait dans la stratégie : le premier a choisi le sabre, c'est-à-dire le jihad, alors que les derniers préfèrent la propagande et la prédication. Mais, selon l’auteur, ils partagent le même objectif : la conquête de l’Europe et l’instauration d’un Etat islamique sur toute la surface de la terre. Cette absence de distinguo est néanmoins très problématique, tant elle paraît excessive. Si tous les islamistes valent Ben Laden, que vaut Ben Laden lui-même ?

Marc Knobel

Paul Landau, Le sabre et le Coran. Tariq Ramadan et les Frères musulmans à la conquête de l’Europe, Editions du Rocher, 2005, 231 pages, 17,90 euros.

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