Sunday, June 19, 2005

La rumeur de Meggido

La photo qui figurait vendredi matin (17 juin 2005) en première page du Jerusalem Post était très instructive, mais il est douteux que les médias occidentaux la publient… On y voyait une maquette en carton du dôme du Rocher, la mosquée de Jérusalem, et un exemplaire du Coran soi-disant "profané", que le ministre israélien de la Sécurité intérieure Gideon Ezra présentait aux journalistes.

En fait de profanation, ce sont les détenus arabes de la prison de Meggido eux-mêmes qui avaient découpé des versets du Coran, pour les coller sur la maquette de la mosquée en carton qu'ils avaient construite, afin de tromper leur oisiveté. Mais les rumeurs sont tenaces, et les médias ne s'intéressent pas aux démentis. Dans l'affaire de la prison de Meggido, comme dans celle de Guantanamo, c'est le mensonge originel qui restera gravé dans les mémoires, avec toutes les conséquences que cela entraîne.

Le sociologue Edgar Morin, récemment condamné par un tribunal français pour un article violemment antisémite dans le journal Le Monde, avait il y a longtemps décrit le mécanisme de la rumeur, à propos de la "rumeur d'Orléans" (à une époque où il se contentait d'analyser les rumeurs, au lieu de les diffuser…). La rumeur d'Orléans consistait en une accusation (fausse évidemment) proférée en 1969 contre des commerçants juifs, accusés de pratiquer la traite des blanches. Cette rumeur ne reposait sur aucun fondement factuel, mais elle avait cependant défrayé la chronique pendant plusieurs semaines.

Les rumeurs de "profanation" du Coran auxquelles on assiste actuellement sont fondées sur le même mécanisme. Des détenus musulmans prétendent que des gardiens de leur prison (à Guantanamo comme à Meggido) ont "profané" un exemplaire du Coran, en déchirant des pages. Cette rumeur est répercutée par des médias avides de sensationnel. Des associations musulmanes ou pro-musulmanes réagissent au quart de tour, publiant des communiqués incendiaires et organisant des manifestations de protestation. Lorsqu'il s'avère que l'accusation était infondée, il est trop tard : les foules sont déjà convaincues qu'il y a eu profanation, et le mal est fait.

C'est ainsi que les députés arabes de la Knesset ont condamné avec virulence la "profanation" de Meggido, sans attendre les résultats de l'enquête diligentée par les autorités israéliennes. Le Mufti de Jérusalem Ekremah Sabri a vivement dénoncé la "profanation" du Coran dans un prêche du vendredi, à la mosquée Al-Aqsa. Des sites Internet musulmans relaient cette rumeur dans le monde entier. Demain peut-être, de nouvelles manifestations auront lieu, et des jeunes musulmans en colère affronteront des policiers, prêts à donner leur vie pour sauver l'honneur du Coran "profané"…

Ce mécanisme n'est pas nouveau. En réalité, les premières rumeurs de profanation contre l'islam, à l'époque contemporaine, ont été diffusées il y a près de quatre-vingt-ans, à Jérusalem, par un autre Mufti. Il s'agissait à l'époque du Mufti Amin Al-Husseini, devenu tristement célèbre pour avoir collaboré activement avec les nazis pendant la Seconde Guerre mondiale. Au début des années 1920, il avait envoyé des délégations dans les pays arabo-musulmans pour collecter des fonds en vue de réparer les mosquées du Mont du Temple à Jérusalem, en prétendant que "les sionistes voulaient s'emparer des lieux saints de l'islam" et "reconstruire le Temple sur l'emplacement des mosquées".

Plus tard, le Mufti Al-Husseini avait joué un rôle déterminant dans les émeutes antijuives de 1929, en déclenchant des affrontements à Jérusalem, accusant à nouveau les Juifs de vouloir porter atteinte aux Lieux saints de l'islam. La même rumeur sera à nouveau diffusée en 1936, et répercutée cette fois-ci en Egypte par le mouvement des Frères musulmans, dirigé par Hassan Al-Banna, ami du Mufti (et grand-père de Tariq Ramadan). Le Mufti Al-Husseini poursuivra son travail de propagandiste à Berlin, entre 1941 et 1944, en animant des émissions en arabe sur Radio Berlin, appelant les musulmans à soutenir l'Axe et à "tuer les Juifs".

La rumeur d'un projet sioniste de destruction des mosquées d'Al-Aqsa et du Rocher, lancée par le Mufti dans les années 1920, est depuis régulièrement reprise par des médias et des hommes politiques arabes, qui s'en servent pour exciter les foules musulmanes. Il n'y a donc rien de nouveau dans les rumeurs de "profanation" du Coran diffusées aujourd'hui. Il s'agit de la même technique de propagande, utilisée avec succès par le Mufti pronazi Al-Husseini dans les années 1920 et 1930, et reprise aujourd'hui avec encore plus d'efficacité, grâce aux médias électroniques. Dans ces circonstances, on pourrait attendre des médias occidentaux qu'ils fassent preuve de plus de vigilance, avant de répercuter des rumeurs aux effets incendiaires, concernant de prétendues "profanations" du Coran.
Paul Landau

0 Comments:

Post a Comment

<< Home