Les conversions à l'islam radical inquiètent la police française
Le nombre des Français convertis à l'islam est impossible à établir avec précision. Leur pratique religieuse est généralement sans histoire. Néanmoins, le phénomène connaît un tel essor, ces dernières années, que les Renseignements généraux (RG) y prêtent une attention particulière. D'autant que des convertis sont apparus dans de nombreux dossiers terroristes instruits en France depuis le 11 septembre 2001. Dans un rapport remis au ministre de l'intérieur, Nicolas Sarkozy, à la fin du mois de juin, la direction centrale des RG (DCRG) présente les conclusions d'une étude fouillée qui n'a pas "valeur de recensement" sur 1 610 convertis. Ceux-ci ont été détectés par les policiers en raison de leur prosélytisme actif, de leurs activités délinquantes ou bien de leurs relations douteuses avec des radicaux. Près d'un tiers ont des antécédents judiciaires ou sont "connus défavorablement des services de police" . Parmi eux, 3 % "appartiennent ou gravitent autour de la mouvance islamiste combattante" , selon la DCRG.
La prison, un terreau fertile
Les renseignements généraux (RG) s'intéressent depuis plusieurs années à la recrudescence des conversions en prison. Selon le rapport remis à la fin du mois de juin au ministre de l'intérieur, parmi les convertis qui ont des antécédents judiciaires ou sont connus des services de police, un peu plus de 10 % ont découvert l'islam en prison. Le prosélytisme y est surtout le fait de détenus de droit commun plutôt que de personnes impliquées dans des affaires terroristes.
Ce prosélytisme se manifeste essentiellement dans un rapport de forces avec les autorités pénitentiaires ou les autres détenus. Les croyants demandent parfois l'aménagement d'une salle de prière, des repas halal ou une aumônerie. Ils peuvent aussi s'estimer victimes d'actes discriminatoires. Une fois en liberté, près de 17 % des convertis à l'islam en prison ont intégré des groupes islamistes radicaux ou leurs structures de soutien logistique.
Qui sont-ils, où vivent-ils ? Les convertis étudiés par les RG constituent une population jeune, principalement masculine. L'âge moyen est de 32 ans, les femmes représentent 17 % du total. La carte des convertis établie par les policiers indique une concentration dans les zones fortement urbanisées où vit une importante communauté maghrébine pratiquante. L'Ile-de-France, Rhône-Alpes, le Nord - Pas-de-Calais, Provence-Alpes-Côte d'Azur et l'Aquitaine sont les régions les plus concernées. Dans l'Est, malgré une importante immigration de confession musulmane, mais à majorité turque, les convertis sont peu nombreux.
Facteurs de conversion. Jeune Blanc des banlieues sous influence, personne fragile, révolté à la recherche d'une cause, opportuniste : il n'existe pas de profil type du converti. Dans 37 % des cas étudiés, l'environnement social et les fréquentations sont à l'origine de l'apprentissage de l'islam. C'est essentiellement vrai pour les jeunes gens nés en France, dont un ou deux parents sont originaires d'un pays du Maghreb et qui vivent dans les cités sensibles. Près de 44 % d'entre eux optent pour un islam d'inspiration salafiste. "C'est le degré zéro de la religion, une succession de postures rigoristes sans distance critique", souligne le chercheur Jean-Luc Marret, de la Fondation de recherches stratégiques, qui a dirigé un ouvrage de référence intitulé Les Fabriques du jihad (PUF, 2005).
Le mariage et le concubinage arrivent en deuxième position (27 %) dans le choix de l'islam, suivi du prosélytisme (15 %). La conversion lors d'un séjour en prison représente 4 % des cas. Les convertis originaires d'Europe du Sud en particulier du Portugal sont fortement représentés (9 %). Parmi eux, 60 % ont épousé une conception rigoriste de la religion, celle des tablighis ou des salafites. Les Antillais représentent 5 % des convertis étudiés.
Parcours et emploi. Les conversions concernent en priorité des personnes jeunes, en rupture avec l'éducation nationale. 49 % d'entre eux n'ont aucun diplôme. Chez les 15-19 ans, seulement 20 % sont étudiants ou lycéens, alors que la moyenne nationale est proche de 95 %. Chez les 20-24 ans, seuls 6 % des convertis étudient, contre un Français sur deux dans cette tranche d'âge. En revanche, à partir de 50 ans, le pourcentage s'inverse : les convertis à l'islam ont fait plus d'études que la moyenne nationale (24 % contre 15,6 %).
La précarité sociale constitue une circonstance récurrente de conversion relevée par les RG. Plus de la moitié des individus étudiés sont sans activité déclarée et un tiers officiellement sans emploi. "Le taux de chômage des convertis est, à lui seul, plus de cinq fois supérieur à celui concernant la totalité des Français" , note le rapport. Au sein du panel étudié, plus de 31 % occupent des emplois à faible qualification (employés, ouvriers, personnels de service). Beaucoup travaillent en particulier dans le secteur de la sécurité et du gardiennage ou sur les zones aéroportuaires, hautement sensibles.
Le taux de commerçants chez les convertis (4,5 %) est supérieur d'un point à la moyenne française. Les policiers soulignent qu'il s'agit surtout de "sociétés modestes, relativement fragiles". "Les convertis chefs d'entreprise sont souvent de petits patrons ou des responsables d'entreprise individuelle ou de société unipersonnelle" , précise le rapport. Surprise : près de 13 % d'entre eux "se sont convertis pour des raisons socioéconomiques, autrement dit par opportunisme" , ce qui témoigne, selon les RG, "de l'émergence de la communauté musulmane en tant que puissance consommatrice" .
L'armée française est également touchée par le phénomène des convertis. Près de 3,5 % de ses effectifs ont embrassé l'islam, dont des officiers supérieurs. Un mariage ou des séjours à l'étranger expliqueraient la plupart des cas. En outre, près de 2 % des 1 610 dossiers étudiés sont des enseignants. Certains ont adopté une attitude prosélyte dans leur travail, selon les RG, citant l'exemple d'une enseignante qui a voulu porter le voile dans une école primaire d'un village du Puy-de-Dôme.
Le salafisme en plein essor. Deux mouvements jouent un rôle décisif dans les conversions de Français à l'islam : le Tabligh (28 % des cas étudiés) et le salafisme (23 %), alors que 30 % des convertis ne semblent rattachés à aucun courant précis de l'islam. En cinq ans, notent les RG, le salafisme a suscité autant de conversions que le Tabligh en vingt-cinq ans. Il se développe sur une idée de rupture par rapport à l'Occident et à ses moeurs corrompues. Les salafites savent également utiliser les nouvelles technologies, surtout Internet, et concilier la religion et les ressources financières.
Très actifs au sein d'associations et autour des lieux de culte des cités, ils possèdent de nombreux petits commerces dans l'édition, la restauration halal et la téléphonie. "C'est un moyen d'offrir des emplois, de créer des solidarités locales , explique M. Marret. Le commerce halal permet aussi, parfois, de blanchir de l'argent sale, comme la mafia avec les pizzerias." Les tablighis, eux, sont censés vivre de l'aumône.
Les salafites "profitent de la vague de réislamisation de la jeunesse maghrébine dans les banlieues, initiée par le Tabligh" , résume l'étude des RG. Mais les deux mouvements ne prospèrent pas selon les mêmes modes. L'influence de l'environnement familial ou amical est déterminante dans près d'un cas de conversion sur deux au salafisme. C'est au contraire le prosélytisme qui arrive en tête (33 %) pour le Tabligh, devant l'entourage (31 %). Cela correspond bien à la nature de ce mouvement, qui s'appuie sur des prédicateurs missionnaires, sillonnant les villes à l'instar des VRP.
Piotr Smolar (Le Monde)
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