Thursday, September 06, 2007

ALLEMAGNE • Les guerriers d'Allah sont parmi nous

Le terrorisme islamiste atteint le cœur de l'Allemagne : avec l'arrestation de trois artificiers amateurs, c'est la première fois qu'est découvert un projet d'attentat préparé par des djihadistes locaux convertis à l'islam radical. Les enquêteurs sont confrontés à un problème dont ils n'avaient pas soupçonné l'ampleur.


Le soulagement se lisait sur le visage du ministre de l'Intérieur. Grâce à leur professionnalisme et à une excellente coopération internationale, a déclaré Wolfgang Schäuble, les autorités allemandes ont réussi à déjouer des attentats potentiellement catastrophiques. Mais le ministre sait aussi qu'il y a des raisons de s'inquiéter. Jamais encore des islamistes nés et grandis en Allemagne n'y ont frappé. Les attentats que préparaient les suspects interpellés le 4 septembre, Fritz G., Daniel S. et Adem Y., auraient été les premiers de ce type. Et la bombe qu'ils avaient prévue devait être énorme, avec une capacité de destruction nettement supérieure aux explosifs utilisés à Londres en juillet 2005 ou un an plus tôt à Madrid. La cellule n'était pas encore parvenue à s'entendre sur une cible, mais ils avaient évoqué des installations américaines, des aéroports, une discothèque. Il ne fait en tout cas aucun doute qu'ils comptaient tuer le plus de gens possible. La composition de cette cellule apparue en Rhénanie du Nord-Palatinat – deux convertis allemands et un Turc qui vivait manifestement en Allemagne depuis longtemps – rappelle les attentats de Londres, dont les auteurs, qui ont déclenché leurs bombes dissimulées dans des sacs à dos le 7 juillet 2005, étaient apparemment bien intégrés.

Chaque année, des milliers d'Allemands se convertissent à l'islam [ils étaient 4 000 en 2006]. Cela a toujours été le cas, et il n'y a pas là matière à s'inquiéter, même si ce nombre croît depuis quelque temps. En revanche, on peut trouver peu rassurant le fait que parmi les djihadistes qui partent d'Allemagne pour se battre - ou, comme les personnes incarcérées mardi, qui veulent porter la guerre en Allemagne même - on trouve de plus en plus de convertis. Parfois, ces derniers sautent même l'étape intermédiaire d'un islam modéré et se convertissent directement à l'islamisme, dans des mosquées et des centres extrémistes, inspirés par des sites Internet germanophones, influencés par des islamistes idéologiquement endurcis qui présentent leurs enseignements comme étant tirés du Coran. On connaît encore mal ce qui séduit véritablement dans l'idéologie islamiste, mais l'intégration au sein d'une communauté de conjurés joue vraisemblablement un rôle, tout autant qu'une attitude fondamentalement antiaméricaine.

A Ulm et Neu-Ulm [deux villes jumelles du sud de l'Allemagne], le milieu inspiré par le djihad est vivace. La cellule démantelée mardi y était liée. Fouad Hussein, spécialiste jordanien du terrorisme et expert des mouvements djihadistes, suit cette évolution avec inquiétude. "Ce phénomène va se multiplier", nous dit-il. Les convertis munis de papiers occidentaux ont une grande valeur pour les groupes terroristes parce qu'ils peuvent voyager sans restriction et n'éveillent pas automatiquement les soupçons. Leur intérêt ne s'arrête pas là. "On trouve dès à présent des convertis qui ne rendent pas publique leur conversion afin de rester camouflés", explique Hussein en citant des sources proches de la mouvance islamiste. "Ils mangent du porc, vont à l'église, ont des petites amies. Personne ne sait qui ils sont jusqu'à ce qu'ils frappent." Selon Fouad Hussein, l'élection d'Angela Merkel à la chancellerie est l'une des raisons du durcissement de l'hostilité à l'égard de l'Allemagne. Ce qui serait parfaitement illogique, car si son prédécesseur Gerhard Schröder s'était effectivement opposé à la guerre en Irak, il avait approuvé l'intervention en Afghanistan. Mais quelques réseaux partageraient la conviction que l'Allemagne se serait désormais rapprochée des Etats-Unis. Ce qui doit être puni.

En fait, il semblerait que l'Allemagne fasse l'objet d'une fixation croissante à cause de son engagement en Afghanistan. Lors du récent enlèvement d'Hannelore et Sinan K. en Irak, les ravisseurs ont réclamé le retrait de la Bundeswehr. Au printemps, le "Front des médias islamiques mondiaux", dans une vidéo destinée à l'Allemagne et l'Autriche, a brandi la menace d'attentats dans les deux pays s'ils ne quittaient pas l'Afghanistan. On découvrira peut-être que Fritz G., Daniel S. et Adem Y. avaient un motif comparable. Certes, on commémore la semaine prochaine les attentats du 11 septembre 2001, mais d'après les enquêteurs, il est possible que la cellule n'ait pas voulu frapper à cause de cette date, mais plutôt parce que la mission en Afghanistan devrait bientôt être prolongée par un vote au Bundestag. Quoi qu'il en soit, on ne sait toujours pas avec certitude si ces terroristes présumés agissaient de leur propre chef ou sous les ordres d'un commanditaire. Une chose est sûre : ces derniers mois, les trois hommes ont communiqué avec une personnalité de la "Islamic Jihad Union" (IJU), groupe terroriste ouzbek de plus en plus actif au Pakistan. Depuis quelque temps, l'IJU tente de frapper en Allemagne, visant en particulier des intérêts israéliens et américains. Le cadre de l'IJU aurait-il donné des conseils à titre privé ? L'IJU, voire Al-Qaida, aurait-il revendiqué l'attentat s'il avait eu lieu ? D'où venait le financement ? Par quel intermédiaire les trois hommes se sont-ils rendus dans des camps d'entraînement au Pakistan en 2006 ? A qui appartenaient ces camps ? Sept ans après le 11 septembre, le djihadisme est plus flou que jamais. Rarement, la piste remonte jusqu'aux chefs d'Al-Qaida. De plus en plus souvent, ce sont des individus apparemment isolés qui se chargent de la logistique. C'est ainsi qu'Al-Qaida a pu survivre, tout en perdant le contrôle des réseaux. Il ne faudra pas s'étonner si, finalement, dans cette affaire-là aussi, on ne pourra condamner que les poseurs de bombes, et pas les commanditaires. De plus en plus souvent, ces derniers restent dans l'ombre.
Yassin MusharbashDer Spiegel

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