Friday, July 15, 2005

L'insoumise, portrait d'Ayaan Hirsi Ali.

Ayaan Hirsi Ali, 35 ans, musulmane devenue athée, députée néerlandaise. Cette Somalienne, amie du cinéaste assassiné Theo Van Gogh, est menacée de mort par les intégristes.
La plaie de l'islam
Par Nathalie DUBOIS


«Marcher dans la rue sans être reconnue», siroter un verre de Sancerre et... «s'amuser de la différence entre gardes du corps français et néerlandais». Au restaurant du grand hôtel parisien où elle a donné rendez-vous, la députée Ayaan Hirsi Ali déguste avec bonheur les dernières heures d'une semaine de semi-liberté dans la capitale française. Deux cerbères sont postés devant le salon où elle déjeune. Mais les voit-elle encore, depuis presque trois ans qu'elle vit sous protection rapprochée, vingt-quatre heures sur vingt-quatre ? Jeune, belle, noire, musulmane, excisée, demandeuse d'asile somalienne devenue, seulement dix ans plus tard, la star du Parlement des Pays-Bas, menacée de mort par les fondamentalistes depuis qu'elle a renié l'islam et craché sur le prophète Mahomet, le traitant de «tyran» et de «pervers» pédophile, Ayaan Hirsi Ali se décrit elle-même : «une aubaine pour les médias».

Cette année, elle est entrée au hit-parade des 100 people du magazine américain Time, et le Quai d'Orsay l'a sacrée «personnalité d'avenir». La «Salman Rushdie néerlandaise», comme la presse l'a un peu vite surnommée, a de quoi commencer à se sentir à l'étroit dans le naguère paisible petit royaume de la reine Beatrix. Insoumise est le titre choisi pour la sortie, en France, Italie et Allemagne, d'un best-of des textes qui l'ont rendue célèbre dans sa patrie d'adoption. Dernier en date, le script du film Soumission, qui a mis les polders à feu et à sang. Le 2 novembre 2004, son ami cinéaste Theo Van Gogh, réalisateur de ce court métrage sacrilège montrant des versets du Coran tatoués sur le corps à demi nu de femmes humiliées, violées et battues au nom d'Allah, était abattu et égorgé en pleine rue d'Amsterdam, par un jeune islamiste maroco-néerlandais. Un meurtre par procuration : la lettre fichée dans le cadavre prévient Ayaan qu'elle «se brisera en morceaux sur l'islam». Les autorités néerlandaises s'affolent : elle est «exfiltrée» et cachée soixante-quinze jours aux Etats-Unis. Avant de revenir, mi-janvier, au Parlement de La Haye pour déclarer d'une voix ferme : «Mesdames et messieurs, je continue.»

Toute fluette sur ses talons hauts, la voix douce mais le discours rageur. «Elle a un regard de biche et une détermination à faire froid dans le dos», dit un diplomate. «[L'assassinat de Van Gogh n'a fait que renforcer] mon intime conviction que la seule manière de formuler mes critiques repose sur une parole libérée», écrit Ayaan. Mais cette liberté dérange. Modèle d'intégration, Hirsi Ali reste un corps étranger. Aussi populaire qu'elle compte d'ennemis. La plupart des 900 000 musulmans des Pays-Bas détestent la brutalité de ses coups de boutoir contre l'islam. Quant à l'establishment politique, il s'agace qu'une étrangère s'acharne à démolir les derniers pans de la vitrine du modèle multiculturel néerlandais. Mais Hirsi Ali veut continuer «à gratter là où ça fait mal».
Femme traquée, déchirée par les contradictions et les ruptures, elle aimerait n'être que calme et «raison». Personne, défend-elle, n'a le droit de réduire son combat à une revanche personnelle. Son espoir, pourtant, est que «les jeunes musulmanes des Pays-Bas qui ont encore une petite lumière dans les yeux n'aient pas à vivre la même chose qu'[elle]». A 35 ans, toute sa force et son aura lui viennent du sort auquel elle a échappé : l'enfermement dans la Cage aux vierges puis l'Usine à fils, titres de ses premiers livres. Son père, qui l'a mariée de force, puis reniée, reste un héros qu'elle vénère et adore. Leader de l'opposition au dictateur communiste somalien Siyad Barre, il a été éduqué en Europe et aux Etats-Unis, sans cesser d'être un musulman très pratiquant, qui prendra quatre épouses. «Il a littéralement ouvert mon esprit, en obligeant ma mère, très rigoriste, à nous scolariser, ma soeur et moi», raconte Ayaan. Et c'est à son insu que leur grand-mère la fait exciser à 5 ans.

Quand le père fuit la Somalie en 1976, la famille s'exile sur ses traces : Arabie Saoudite, Ethiopie, Kenya. Contrairement à sa cadette rebelle, qui brave les coups maternels pour porter des jupes courtes, Ayaan est sage. A l'école islamique de Nairobi, elle se met à porter le voile et «des habits noirs par-dessus [son] uniforme». Fascinée par sa professeure de religion, elle veut «se rapprocher de Dieu» : «La soumission à la volonté d'Allah était la clé de tout.» «J'ai eu de la chance que mon père ne vive pas avec nous à l'époque. Sinon, j'aurais sûrement été mariée à 16 ans, un âge où je n'aurais pas pu m'enfuir.»
La chance de fuir, elle la saisit à 22 ans, lorsque sa famille la marie à un cousin émigré au Canada. Le temps que son visa soit prêt, Ayaan doit attendre en Allemagne, chez des membres du clan. Au bout de deux jours, elle saute dans un train pour les Pays-Bas, et demande l'asile. Suit un parcours exemplaire d'intégration. Qu'elle envoie à la tête des immigrés ressassant «leur insupportable discours de victimes». «On peut s'enfermer dans le ressentiment ou décider de s'en sortir par soi-même», dit la députée, entrée en politique à gauche pour virer à droite toute, dans les bras du parti libéral VVD. Au lieu de vivre des allocations, elle a fait des ménages, servi d'interprète dans des centres sociaux. Et, lorsque l'agence pour l'emploi néerlandaise borne son horizon à un diplôme de comptabilité, elle se rebelle et entre à l'université de Leyde pour étudier les sciences politiques.
Aux Pays-Bas, Ayaan a vite tourné le dos à la religion, sans rompre ouvertement avec l'islam. «Par peur de perdre ma famille», explique-t-elle. Les attentats du 11 septembre 2001 sont le «tournant capital» qui déclenche le réexamen de sa foi. Non seulement elle se déclare publiquement athée, mais lance sa croisade contre une religion «arriérée», «porteuse de fanatisme, de violence et de haine». Son premier livre, en 2002, exhorte les musulmanes à se libérer du joug subi au nom du Coran. Les menaces de mort commencent et ne cesseront plus.
Convaincue que «l'islam n'est pas compatible avec les présupposés de l'Etat de droit occidental», Ayaan rompt avec le Parti travailliste. Elle accuse la gauche de rester dans le politiquement correct et le relativisme culturel. Et se fait enrôler par la droite libérale, trop contente de récupérer cette candidate de choc. Au Parlement depuis deux ans et demi, qu'a-t-elle fait avancer ? Pour sa collègue Mirjam Sterk, chargée de l'intégration au Parti chrétien-démocrate, Hirsi Ali «a certainement contribué à mettre des thèmes à l'agenda politique. Mais elle court quelquefois plus vite qu'elle ne devrait...» Sa proposition de loi contre l'excision visant à un contrôle médical annuel de toutes les fillettes musulmanes vient de s'échouer sur l'écueil juridique de la discrimination ethnique. Au Bureau national de lutte contre la discrimination (LBR), Leyla Hamidi est plus sévère : «Pour aider les musulmans, il faut les avoir avec soi. En choisissant la confrontation, elle s'est totalement coupée des gens qu'elle veut atteindre.» Dans ses nouveaux atours d'icône mondiale de la résistance à l'islam, Ayaan Hirsi Ali ne nie pas que son influence s'est limitée jusqu'ici aux Occidentaux. Mais elle s'est assignée un rôle : «Réveiller les gens et les maintenir éveillés...»
LIBERATION

Tuesday, July 12, 2005

Les conversions à l'islam radical inquiètent la police française


Le nombre des Français convertis à l'islam est impossible à établir avec précision. Leur pratique religieuse est généralement sans histoire. Néanmoins, le phénomène connaît un tel essor, ces dernières années, que les Renseignements généraux (RG) y prêtent une attention particulière. D'autant que des convertis sont apparus dans de nombreux dossiers terroristes instruits en France depuis le 11 septembre 2001. Dans un rapport remis au ministre de l'intérieur, Nicolas Sarkozy, à la fin du mois de juin, la direction centrale des RG (DCRG) présente les conclusions d'une étude fouillée ­ qui n'a pas "valeur de recensement" ­ sur 1 610 convertis. Ceux-ci ont été détectés par les policiers en raison de leur prosélytisme actif, de leurs activités délinquantes ou bien de leurs relations douteuses avec des radicaux. Près d'un tiers ont des antécédents judiciaires ou sont "connus défavorablement des services de police" . Parmi eux, 3 % "appartiennent ou gravitent autour de la mouvance islamiste combattante" , selon la DCRG.

La prison, un terreau fertile
Les renseignements généraux (RG) s'intéressent depuis plusieurs années à la recrudescence des conversions en prison. Selon le rapport remis à la fin du mois de juin au ministre de l'intérieur, parmi les convertis qui ont des antécédents judiciaires ou sont connus des services de police, un peu plus de 10 % ont découvert l'islam en prison. Le prosélytisme y est surtout le fait de détenus de droit commun plutôt que de personnes impliquées dans des affaires terroristes.
Ce prosélytisme se manifeste essentiellement dans un rapport de forces avec les autorités pénitentiaires ou les autres détenus. Les croyants demandent parfois l'aménagement d'une salle de prière, des repas halal ou une aumônerie. Ils peuvent aussi s'estimer victimes d'actes discriminatoires. Une fois en liberté, près de 17 % des convertis à l'islam en prison ont intégré des groupes islamistes radicaux ou leurs structures de soutien logistique.

Qui sont-ils, où vivent-ils ? Les convertis étudiés par les RG constituent une population jeune, principalement masculine. L'âge moyen est de 32 ans, les femmes représentent 17 % du total. La carte des convertis établie par les policiers indique une concentration dans les zones fortement urbanisées où vit une importante communauté maghrébine pratiquante. L'Ile-de-France, Rhône-Alpes, le Nord - Pas-de-Calais, Provence-Alpes-Côte d'Azur et l'Aquitaine sont les régions les plus concernées. Dans l'Est, malgré une importante immigration de confession musulmane, mais à majorité turque, les convertis sont peu nombreux.
Facteurs de conversion. Jeune Blanc des banlieues sous influence, personne fragile, révolté à la recherche d'une cause, opportuniste : il n'existe pas de profil type du converti. Dans 37 % des cas étudiés, l'environnement social et les fréquentations sont à l'origine de l'apprentissage de l'islam. C'est essentiellement vrai pour les jeunes gens nés en France, dont un ou deux parents sont originaires d'un pays du Maghreb et qui vivent dans les cités sensibles. Près de 44 % d'entre eux optent pour un islam d'inspiration salafiste. "C'est le degré zéro de la religion, une succession de postures rigoristes sans distance critique", souligne le chercheur Jean-Luc Marret, de la Fondation de recherches stratégiques, qui a dirigé un ouvrage de référence intitulé Les Fabriques du jihad (PUF, 2005).
Le mariage et le concubinage arrivent en deuxième position (27 %) dans le choix de l'islam, suivi du prosélytisme (15 %). La conversion lors d'un séjour en prison représente 4 % des cas. Les convertis originaires d'Europe du Sud ­ en particulier du Portugal ­ sont fortement représentés (9 %). Parmi eux, 60 % ont épousé une conception rigoriste de la religion, celle des tablighis ou des salafites. Les Antillais représentent 5 % des convertis étudiés.
Parcours et emploi. Les conversions concernent en priorité des personnes jeunes, en rupture avec l'éducation nationale. 49 % d'entre eux n'ont aucun diplôme. Chez les 15-19 ans, seulement 20 % sont étudiants ou lycéens, alors que la moyenne nationale est proche de 95 %. Chez les 20-24 ans, seuls 6 % des convertis étudient, contre un Français sur deux dans cette tranche d'âge. En revanche, à partir de 50 ans, le pourcentage s'inverse : les convertis à l'islam ont fait plus d'études que la moyenne nationale (24 % contre 15,6 %).
La précarité sociale constitue une circonstance récurrente de conversion relevée par les RG. Plus de la moitié des individus étudiés sont sans activité déclarée et un tiers officiellement sans emploi. "Le taux de chômage des convertis est, à lui seul, plus de cinq fois supérieur à celui concernant la totalité des Français" , note le rapport. Au sein du panel étudié, plus de 31 % occupent des emplois à faible qualification (employés, ouvriers, personnels de service). Beaucoup travaillent en particulier dans le secteur de la sécurité et du gardiennage ou sur les zones aéroportuaires, hautement sensibles.
Le taux de commerçants chez les convertis (4,5 %) est supérieur d'un point à la moyenne française. Les policiers soulignent qu'il s'agit surtout de "sociétés modestes, relativement fragiles". "Les convertis chefs d'entreprise sont souvent de petits patrons ou des responsables d'entreprise individuelle ou de société unipersonnelle" , précise le rapport. Surprise : près de 13 % d'entre eux "se sont convertis pour des raisons socioéconomiques, autrement dit par opportunisme" , ce qui témoigne, selon les RG, "de l'émergence de la communauté musulmane en tant que puissance consommatrice" .
L'armée française est également touchée par le phénomène des convertis. Près de 3,5 % de ses effectifs ont embrassé l'islam, dont des officiers supérieurs. Un mariage ou des séjours à l'étranger expliqueraient la plupart des cas. En outre, près de 2 % des 1 610 dossiers étudiés sont des enseignants. Certains ont adopté une attitude prosélyte dans leur travail, selon les RG, citant l'exemple d'une enseignante qui a voulu porter le voile dans une école primaire d'un village du Puy-de-Dôme.
Le salafisme en plein essor. Deux mouvements jouent un rôle décisif dans les conversions de Français à l'islam : le Tabligh (28 % des cas étudiés) et le salafisme (23 %), alors que 30 % des convertis ne semblent rattachés à aucun courant précis de l'islam. En cinq ans, notent les RG, le salafisme a suscité autant de conversions que le Tabligh en vingt-cinq ans. Il se développe sur une idée de rupture par rapport à l'Occident et à ses moeurs corrompues. Les salafites savent également utiliser les nouvelles technologies, surtout Internet, et concilier la religion et les ressources financières.
Très actifs au sein d'associations et autour des lieux de culte des cités, ils possèdent de nombreux petits commerces dans l'édition, la restauration halal et la téléphonie. "C'est un moyen d'offrir des emplois, de créer des solidarités locales , explique M. Marret. Le commerce halal permet aussi, parfois, de blanchir de l'argent sale, comme la mafia avec les pizzerias." Les tablighis, eux, sont censés vivre de l'aumône.
Les salafites "profitent de la vague de réislamisation de la jeunesse maghrébine dans les banlieues, initiée par le Tabligh" , résume l'étude des RG. Mais les deux mouvements ne prospèrent pas selon les mêmes modes. L'influence de l'environnement familial ou amical est déterminante dans près d'un cas de conversion sur deux au salafisme. C'est au contraire le prosélytisme qui arrive en tête (33 %) pour le Tabligh, devant l'entourage (31 %). Cela correspond bien à la nature de ce mouvement, qui s'appuie sur des prédicateurs missionnaires, sillonnant les villes à l'instar des VRP.
Piotr Smolar (Le Monde)