Tuesday, July 25, 2006

Eurabia et la mise au pas des universités européennes


Retour sur l'affaire Van Der Horst

Au moment où le Hezbollah vient de plonger le Moyen-Orient dans une nouvelle guerre, et alors que les regards de toutes les capitales occidentales sont tournés vers la frontière entre Israël et le Liban, il n'est pas inutile de revenir sur un événement qui s'est déroulé au cœur de l'Europe, loin de l'attention médias internationaux, mais dont les conséquences et la signification à long terme sont tout aussi graves que celles de l'embrasement subit du front israélo-arabe. L'affaire Van Der Horst, qui a eu lieu non pas dans le tumulte des champs de bataille, mais dans les couloirs feutrés d'une prestigieuse université, illustre les effets complémentaires des deux facettes d'un même phénomène que sont le Djihad et la dhimmitude.
Dans un livre récemment traduit en français 1, l'historienne Bat Ye'or, dont les travaux pionniers ont porté à la connaissance du grand public un pan inexploré de l'histoire mondiale - celui de la dhimmitude et des rapports entre l'islam et les minorités non musulmanes - a décrit la soumission grandissante des élites politiques européennes aux diktats de la Ligue arabe et du monde arabo-musulman en général, sous couvert de "dialogue euro-arabe", et elle a inventé pour décrire ce processus politique, culturel et économique, un terme qui est en passe d'entrer dans le lexique politique contemporain : Eurabia.

Pour ceux qui douteraient encore de l'existence et de la réalité d'Eurabia, la récente affaire Van Der Horst vient illustrer les conséquences du processus décrit par Bat Ye'or, au cœur du bastion de la culture européenne : l'université. Cette affaire, qui a défrayé la chronique aux Pays-Bas et a été rapportée par plusieurs grands quotidiens américains et israéliens, a curieusement été passée sous silence par les médias français... 2
Pieter Van Der Horst est un professeur à l'université d'Utrecht, spécialiste du monde hellénistique et des débuts du christianisme, et ses travaux lui ont valu une renommée mondiale dans le monde universitaire. Au début du mois de juin 2006, il devait prononcer un discours d'adieu à l'occasion de son départ en retraite, après 37 ans d'enseignement. Le sujet de son discours était "le mythe du cannibalisme juif", et il se proposait de faire la généalogie de ce mythe, depuis l'antiquité jusqu'à l'époque contemporaine.
Comme Van Der Horst le relate lui-même, il avait l'intention de suivre la trace de l'accusation selon laquelle les Juifs consomment de la chair humaine, depuis ses origines gréco-romaines, en passant par le Moyen-Age chrétien, et jusqu'à la période nazie et au monde musulman actuel. La démonisation des Juifs dans le monde musulman a en effet ses racines, explique Van Der Horst, dans le fascisme allemand. Et il rappelle que Mein Kampf, le livre-programme d'Adolf Hitler, a figuré sur la liste des best sellers dans de nombreux pays du Moyen-Orient.
La sympathie pour le nazisme dans les pays arabo-musulmans remonte à l'époque qui précède la Seconde Guerre mondiale. Le dirigeant palestinien Haj Amin al-Husseini, Grand Mufti de Jérusalem, a collaboré activement avec Hitler. Il a passé plusieurs années à Berlin pendant la guerre, poursuit Van Der Horst, et a visité le camp d'extermination d'Auschwitz, ce qui lui a inspiré un plan d'édification de chambres à gaz en Palestine, pour régler la "question juive", sur le modèle nazi... 3
A sa grande surprise, Pieter Van der Horst ne put prononcer son discours d'adieu devant ses collègues de l'université d'Utrecht comme il l'entendait. Il fut convoqué par le doyen de l'université, qui le pria instamment de supprimer le passage de son discours concernant l'antisémitisme musulman. Ayant refusé d'obtempérer, Van Der Horst fut convoqué séance tenante devant une commission ad hoc, qui invoqua trois raisons pour supprimer le passage litigieux.
La première, c'est que ce discours risquait - s'il n'était pas expurgé de son passage litigieux - de provoquer la colère de "groupes étudiants musulmans bien organisés", et que le recteur ne pouvait assumer la responsabilité des réactions violentes qu'il n'allait pas manquer de susciter. Par ailleurs, la commission craignait que ce discours ne porte atteinte aux efforts de rapprochement entre Musulmans et non-Musulmans au sein de l'université. Enfin, les collègues de Van Der Horst prétendaient que le discours de celui-ci était en-dessous des critères universitaires, allusion aux remarques sarcastiques qu'il contenait à l'endroit de certains politiciens néerlandais.
Abasourdi, Van Der Horst envoya tout d'abord son discours à des collègues spécialistes du monde musulman et de l'islam, qui confirmèrent unanimement l'intérêt et la véracité de ses allégations sur l'antisémitisme musulman. Ce discours, ajoutaient-ils, ne pouvait aucunement susciter l'ire des Musulmans, puisqu'il ne contenait rien d'injurieux envers l'Islam, le Prophète ou le Coran, mais abordait uniquement des questions historiques.
Le recteur de l'université d'Utrecht ne se satisfit pas de ces explications et s'en tint à sa position initiale. La mort dans l'âme, Van Der Horst décida d'accepter le verdict de ses pairs, et de prononcer son discours d'adieu, après 37 années de bons et loyaux services en tant que professeur, expurgé du passage litigieux... Mais le jour même de la cérémonie, il eut la surprise de constater que les médias locaux s'étaient emparés de l'affaire. Le recteur de l'université prétendait qu'il n'y avait eu aucune censure et que le discours était tout simplement inacceptable de par sa qualité universitaire...
Pieter Van Der Horst conclut sa relation des faits dans le Wall Street Journal sur une note optimiste, en constatant qu'il a reçu le soutien de nombreux collègues et de membres de la communauté juive néerlandaise. Qu'il me soit permis de ne pas partager son optimisme. L'affaire Van Der Horst illustre à mon avis le niveau de dhimmitude auquel sont parvenues les élites universitaires dans de nombreux pays d'Europe aujourd'hui.
Le cas des Pays-Bas n'est pas isolé, et il n'est certainement pas le pire. On se rappelle les nombreuses affaires de boycott universitaire à l'encontre de professeurs israéliens (souvent eux-même d'extrême-gauche, ce qui ne les a pas protégés...) de la part de groupuscules propalestiniens très influents dans les universités, en France et en Grande-Bretagne notamment. Mais le cas Van Der Horst est sans doute plus grave encore que les affaires de boycott, car il témoigne de l'auto-censure que s'imposent des membres éminents de l'université (et qu'ils imposent à leurs pairs), pour ne pas "offenser" les étudiants musulmans, sans même que ceux-ci soient intervenus en ce sens.
L'affaire Van Der Horst est la pointe de l'iceberg, et de nombreuses autres affaires similaires ont lieu, sans attirer aucune attention. Ce phénomène traduit l'émergence d'Eurabia au sein des universités européennes. Il touche tous les départements universitaires, non seulement ceux qui traitent des études islamiques (j'en donnerai pour exemple la revue de "l'Institut international pour l'étude de l'islam dans le monde contemporain", publiée aux Pays-Bas, qui est un modèle de politiquement correct et d'islamiquement correct...), mais aussi les études non-islamiques, comme le montre le cas Van Der Horst. Dans les universités européennes aujourd'hui, certains sujets sont devenus tabous.
L'antisémitisme dans le monde musulman, le rapprochement entre le fondateur du mouvement national palestinien et les nazis, ou la perpétuation de mythes racistes antijuifs dans les pays arabo-musulmans, sont autant de tabous que les professeurs les plus éminents ne peuvent plus aborder, sous peine d'être censurés et humiliés publiquement... Quant aux étudiants, il est certain qu'ils n'en entendront jamais parler dans leurs programmes universitaires ! Erasme, réveille-toi, ils sont devenus fous !

Notes
1. Bat Ye'or, Eurabia, l'axe euro-arabe, Editions Jean-Cyrille Godefroy, Paris 2006.
2. Voir notamment l'article de Van Der Horst publié par le Wall Street Journal, "Tying Down Academic Freedom", 30 juin 2006. En ligne sur le site www.campus-watch.org.
3. Sur la collaboration entre le Grand Mufti et les nazis, je me permets de renvoyer à mon livre, Le Sabre et le Coran, Editions du Rocher 2005, chapitre 1.

Tuesday, July 18, 2006

La France et le Hezbollah

[Article ecrit en novembre 2004, qui n'a rien perdu de son actualite...]

Il y aurait beaucoup à dire sur l'affaire Al-Manar - la chaîne de télévision du Hezbollah, dont le Conseil supérieur de l'audiovisuel (CSA) vient d'autoriser la diffusion en France. Cette décision stupéfiante et lourde de conséquences n'a guère suscité de réactions, à ce jour, mis à part la vive protestation du CRIF, qui est sorti de sa réserve habituelle. Pourtant, cet événement en dit long sur l'état de décadence morale de la société et des élites françaises. Dans un article consacré à Al Manar, en février 2004, le journaliste de Libération Christophe Ayad écrivait ces lignes prémonitoires, qui permettent de comprendre, a posteriori, les dessous de la décision du CSA (1) :Al-Manar est allé jusqu'à instaurer un court journal d'actualité en français, à l'occasion du dernier sommet de la Francophonie, en octobre 2002. Hezbollah - Francophonie, une histoire d'amour inattendue ! Hassan Nasrallah, le jeune secrétaire général du «Parti de Dieu», avait assisté, ravi, assis au premier rang avec les officiels libanais, au discours de Jacques Chirac pour un «monde multipolaire». En coulisses, un diplomate français s'extasiait sur la mue du Hezbollah et ce nouveau «réservoir» pour la francophonie : «Quand on voit qu'il y a quinze ans, ils enlevaient nos ressortissants ! Ils ont mûri, ce sont des interlocuteurs».La réflexion de ce diplomate français exprime très précisément les motivations de la politique française, à l'extérieur comme à l'intérieur des frontières de l'Hexagone. C'est ce mélange de naïveté et d'arrogance qui explique la décision du CSA en particulier, et la politique arabe de la France en général. Mélange détonant, qui fait croire à des diplomates chevronnés que leur pays est protégé par sa politique étrangère contre le terrorisme du Hezbollah ou d'autres mouvements islamistes. Or, comme le démontre la récente affaire des otages, Chesnot et Malbrunot, il n'en est rien. En effet, l'attitude française est une invitation à de nouvelles prises d'otages et à de nouvelles exigences de la part des mouvements islamistes. Contrairement à ce que pensait ce diplomate en extase, ce n'est pas le Hezbollah qui a mûri, ou mué. Les dirigeants du «Parti de Dieu» ne se sont pas transformés subitement en admirateurs de Montaigne et de Rousseau, par amour de la francophonie. C'est la France, son gouvernement, son Président, ses autorités (CSA et autres) et ses élites politiques qui ont tellement «mûri», qu'ils se trouvent aujourd'hui dans un état avancé de décomposition morale et intellectuelle. «Le poisson pourrit par la tête», dit le proverbe. L'histoire d'amour entre le Hezbollah et le gouvernement français a depuis longtemps dépassé le stade des préliminaires pour atteindre celui des ébats proprement dits, et elle va bientôt donner ses fruits monstrueux. Le discours de Jacques Chirac sur le «monde multipolaire», qui avait tellement plu au chef du «Parti de Dieu» libanais, se traduit à présent en actes et montre sa signification véritable. Comme l'écrivait récemment la journaliste israélienne, Caroline Glick - observatrice très lucide de la scène politique locale et internationale - «l'obsession française de la multipolarité provient de la conception chiraquienne, selon laquelle l'objectif principal de son pays n'est pas de libérer le monde du terrorisme islamique, mais d'affaiblir les Etats-Unis» (2).Il est improbable que l'objectif de Chirac soit atteint, en ce qui concerne l'affaiblissement des Etats-Unis. Mais une chose est, d'ores et déjà, certaine : c'est que sa politique a réussi à transformer la France, autrefois puissance occidentale et «partenaire privilégié» du monde arabo-musulman, en un véritable acteur de celui-ci. Ce qui signifie que la France - et bientôt l'Europe toute entière, peut-être - sont en passe de devenir, sous le regard comblé d'aise des Nasrallah, Assad et autres chefs d'Etat ou de milices arabes, des éléments à part entière du pôle arabo-musulman, au sein du monde «multipolaire» que Chirac appelle de ses vœux. Contrairement à une idée reçue, ce n'est pas l'immigration musulmane en France et en Europe, qui est la cause de cette transformation radicale. En effet, les populations qui pratiquent l'islam en Europe sont d'une extrême diversité sociologique, culturelle et politique. Elles ne sont que très minoritairement engagées dans l'islamisme, cette idéologie politique totalitaire, à laquelle MM. Sarkozy et De Villepin veulent inféoder la totalité de «l'islam de France», en faisant de l'UOIF le «CRIF musulman» (3). La cause de cette transformation, c'est la volonté politique des gouvernements français depuis trois décennies, c'est-à-dire depuis qu'est apparu le projet politique, auquel l'historienne Bat Ye'or a donné le nom d'Eurabia, et dont elle a décrit la généalogie il y a déjà plusieurs années, bien avant que ses premières manifestations n'apparaissent au grand jour (4).C'est Eurabia qui permet de comprendre les décisions politiques, inexplicables autrement - tant elles sont contraires aux intérêts bien compris de la France -, comme la légalisation de la chaîne Al-Manar par le CSA. Eurabia, cela veut dire que l'Europe judéo-chrétienne - que Tariq Ramadan qualifie de «vaste supercherie» - est en train de laisser la place à une Europe musulmane, conformément aux souhaits les plus ardents du Président Chirac. Eurabia, c'est l'acte de décès d'une civilisation millénaire, et d'un pays dans lequel beaucoup de Juifs croyaient, à tort, avoir trouvé une patrie. «La France n'est pas un pays antisémite», répète-t-on, à l'envi, après chaque incendie de synagogue. Non, certes, la France n'est pas (encore) un pays antisémite. Elle est simplement en train de devenir, sous les regards attendris du Président Chirac et du cheikh Hassan Nasrallah, une province cathodique et politique du Hezbollah.© Paul Landau Notes(1) C. Ayad, "Al-Manar TV, une chaîne de guerre", Libération, 2 février 2004. C'est moi qui souligne. Voir aussi Michaël Béhé, "Un sommet où la France favorise ses ennemis et enterre ses amis !", Metula News Agency, 19 février 2002.(2) C. Glick, "H-Hour has arrived", Jerusalem Post, 19 novembre 2004.(3) Voir, à ce sujet, le rapport très éloquent du Centre Simon Wiesenthal, «Le vrai visage de l'UOIF», publié sur Internet, www.wiesenthal.com. (4) Bat Ye'or, Eurabia : The Euro-Arab Axis, Cranbury, NJ Fairleigh Dickinson University Press, 2005. Pour un exposé en français, voir "L'esprit d'Eurabia", www.primo-europe.org.