Denis MCSHANE - Une terreur bien "islamiste"
Les autorités britanniques ont été trop lentes à dénoncer l’idéologie à l’origine des attentats.
Par DENIS MACSHANE, député travailliste et ancien ministre britannique des Affaires européennes de 2002 à 2005.
La Grande-Bretagne entame un long combat contre les diverses idéologies islamistes qui envoient de jeunes hommes tuer et mutiler nos concitoyens. La réponse calme, rationnelle, déterminée et sans ambiguïté de la nouvelle ministre de l’Intérieur (Home Secretary), Jacqui Smith, tout autant que les termes graves du Premier ministre, Gordon Brown, constituent un changement bienvenu après les théâtrales déclarations de guerre au terrorisme, ou la consultation immédiate de comités dont les membres sont plus enclins à dénoncer la politique étrangère de la Grande-Bretagne qu’à poser les questions épineuses sur les processus intellectuels qui conduisent les candidats aux attentats suicide ou à la voiture piégée.
Il y a six semaines, David Cameron (dirigeant du parti conservateur) a écrit, dans l’Observer (journal dominical), un article critique contre ceux qui utilisent le terme d’ «islamiste» pour décrire les racines idéologiques de la menace terroriste. Pourtant «islamiste» est une description parfaitement adaptée à une idéologie globale qui incube lentement depuis des dizaines d’années. Il a fallu soixante-neuf ans entre la rédaction du Manifeste du Parti communiste et l’imposition de la terreur bolchevique en Russie en 1917. La haine des Juifs de Hitler provient d’écrits et d’idéologues actifs avant sa naissance.
On peut trouver l’équivalent islamiste de l’appel révolutionnaire de Marx dans les écrits du fondateur des Frères musulmans, dont l’influence ne cesse de croître en Egypte, aussi bien que dans ses ramifications telles le Hamas et un réseau européen qui inclut des membres éminents du Conseil musulman de Grande-Bretagne.
Dans les années trente, Hassan al-Banna écrivait : «le Coran est notre constitution, le Djihad est notre moyen d’action, le martyre est notre désir». D’un seul coup, l’histoire de la modernité, qui est fondée sur la séparation entre la foi et la démocratie, l’église et l’Etat, les hommes politiques et les prêtres, a été renversée. Aujourd’hui, c’est Al-Qaeda et la myriade de groupes islamistes, de l’Indonésie à la Grande-Bretagne, qui s’inspirent de l’idéologie islamiste pour perpétrer des actions maléfiques. Celles-ci sont condamnées partout par les musulmans respectables.
Je passe plus de temps dans les mosquées que dans les églises de ma circonscription de Rotherham (nord-est de l’Angleterre, ndlr) où vivent 10 000 citoyens musulmans. Leurs imams et les membres des conseils de mosquée sont des hommes de paix. Ils apprennent à leurs enfants à réciter le Coran tout comme on m’a appris à réciter la messe en latin quand j’étais enfant de chœur. Les musulmans britanniques connaissent la différence entre leur foi et les idéologies de l’islamisme.
Quand David Cameron nie le concept de l’islamisme, al-Banna et tous les pères fondateurs de l’islamisme se tordent de rire dans leur tombe. Mais, aussi mesurée et impressionnante qu’ait été la réponse du gouvernement (et pour être honnête, celle de Cameron) face aux tentatives d’atrocités à Londres et à Glasgow, le fait est que le gouvernement travailliste, Whitehall et toute la classe politico-médiatique en Grande-Bretagne ont été très lents à prendre conscience de la nécessité d’une confrontation intellectuelle et idéologique avec l’islamisme.
J’en ai fait l’expérience de première main quand, en novembre 2003, en tant que ministre aux Affaires européennes, j’ai prononcé un discours après que des terroristes islamistes eurent conduit un camion suicide à l’intérieur du consulat britannique à Istanbul, tuant énormément de gens, principalement des Turcs. Au même moment, un jeune homme du Sud Yorkshire avait été conditionné par des islamistes pour devenir candidat à l’attentat suicide à Tel-Aviv.
J’ai exprimé ce qui me paraissait être des banalités, disant que l’on devait choisir entre «la règle démocratique de la loi, si vous préférez la façon de faire britannique, turque, américaine ou européenne, fondée sur le dialogue politique et la contestation non violente, ou la méthode des terroristes, contre laquelle le monde démocratique tout entier s’unit désormais. Nous devons nous éloigner du discours des martyrs et j’espère que nous verrons s’affirmer plus clairement et avec plus de détermination qu’il n’y a pas d’avenir, où que ce soit dans le monde, pour aucune cause musulmane qui valide ou soutient implicitement l’usage de la violence politique de quelque façon que soit». Lus aujourd’hui, ces propos sont tellement évidents que tout député les approuverait. Il y a quatre ans on les a considérés comme provocateurs et inacceptables.
Des « experts» ont écrit des articles pour me dénoncer. Au sein même du Foreign Office (ministère des Affaires étrangères), on m’a enjoint de négocier, avec un représentant du Conseil musulman de Grande-Bretagne, une rétractation partielle de ma déclaration. Je regrette maintenant d’avoir temporisé, en raison de l’émotion véritable que je ressentais chez mes amis musulmans du Yorkshire et, bien sûr, parce que tout homme politique souhaite conserver son mandat. Maintenant, nous n’avons plus d’excuse. Si les ministres et les députés veulent savoir d’où vient le terrorisme, ils peuvent lire le livre de Ed Husain, l’Islamiste, au sous-titre auto explicatif, «Pourquoi je me suis engagé dans l’islam radical en Grande-Bretagne, ce que j’y ai vu de l’intérieur et pourquoi je l’ai quitté.» Husain est l’un des musulmans britanniques, de plus en plus nombreux, qui disent la vérité.
On peut lire, dans un numéro récent de la revue Prospect (magazine libéral de gauche), le reportage remarquable de Shiv Malik sur le factionalisme islamiste qui a pris le contrôle des fauteurs d’attentats à la bombe du 7 juillet, arrêtés à Leeds.
Contrairement aux non-musulmans qui ont essayé d’évoquer les problèmes avant que le monde politico-médiatique complaisant ne soit prêt à les écouter, ces témoignages actuels des musulmans britanniques ne peuvent être réfutés.
Ils ne sont pas comme Tariq Ramadan, le petit-fils de al-Banna, qui écrit avec révérence sur le père fondateur de l’islamisme. Récemment, la revue Prospect a publié une interview-portrait bienveillante de Ramadan. Le mois dernier, le rédacteur en chef du magazine, David Goodhart, lui a adressé une lettre ouverte après que Ramadan eut condamné une rencontre à Downing Street qui comprenait des leaders musulmans opposés à l’islamisme.
Goodhart a fait valoir que ni la politique étrangère ni les attitudes racistes dans une Grande-Bretagne où les citoyens musulmans ont des vies plus libres que dans n’importe quel autre État musulman, ne peuvent justifier les attaques constantes sur la démocratie britannique de la part des idéologues islamistes.
Ramadan n’a pas daigné répondre. Il reste cependant consultant à Whitehall, en dépit de son refus d’appeler à l’abolition de la lapidation à mort des femmes suivant la loi de la charia.
Mais le refus de contester l’idéologie islamiste a fait son temps. Il y a une détermination nouvelle au gouvernement à énoncer les dures vérités.
Et bientôt quelqu’un expliquera à David Cameron que l’idéologie islamiste et les crimes de la terreur islamiste existent bel et bien, et qu’ils représentent un défi fondamental à toutes les valeurs que les citoyens britanniques, de toutes confessions ou d’aucune, et la Grande-Bretagne défendent.
© Libération
Traduit de l’anglais par Jean-Charles Burou
Par DENIS MACSHANE, député travailliste et ancien ministre britannique des Affaires européennes de 2002 à 2005.
La Grande-Bretagne entame un long combat contre les diverses idéologies islamistes qui envoient de jeunes hommes tuer et mutiler nos concitoyens. La réponse calme, rationnelle, déterminée et sans ambiguïté de la nouvelle ministre de l’Intérieur (Home Secretary), Jacqui Smith, tout autant que les termes graves du Premier ministre, Gordon Brown, constituent un changement bienvenu après les théâtrales déclarations de guerre au terrorisme, ou la consultation immédiate de comités dont les membres sont plus enclins à dénoncer la politique étrangère de la Grande-Bretagne qu’à poser les questions épineuses sur les processus intellectuels qui conduisent les candidats aux attentats suicide ou à la voiture piégée.
Il y a six semaines, David Cameron (dirigeant du parti conservateur) a écrit, dans l’Observer (journal dominical), un article critique contre ceux qui utilisent le terme d’ «islamiste» pour décrire les racines idéologiques de la menace terroriste. Pourtant «islamiste» est une description parfaitement adaptée à une idéologie globale qui incube lentement depuis des dizaines d’années. Il a fallu soixante-neuf ans entre la rédaction du Manifeste du Parti communiste et l’imposition de la terreur bolchevique en Russie en 1917. La haine des Juifs de Hitler provient d’écrits et d’idéologues actifs avant sa naissance.
On peut trouver l’équivalent islamiste de l’appel révolutionnaire de Marx dans les écrits du fondateur des Frères musulmans, dont l’influence ne cesse de croître en Egypte, aussi bien que dans ses ramifications telles le Hamas et un réseau européen qui inclut des membres éminents du Conseil musulman de Grande-Bretagne.
Dans les années trente, Hassan al-Banna écrivait : «le Coran est notre constitution, le Djihad est notre moyen d’action, le martyre est notre désir». D’un seul coup, l’histoire de la modernité, qui est fondée sur la séparation entre la foi et la démocratie, l’église et l’Etat, les hommes politiques et les prêtres, a été renversée. Aujourd’hui, c’est Al-Qaeda et la myriade de groupes islamistes, de l’Indonésie à la Grande-Bretagne, qui s’inspirent de l’idéologie islamiste pour perpétrer des actions maléfiques. Celles-ci sont condamnées partout par les musulmans respectables.
Je passe plus de temps dans les mosquées que dans les églises de ma circonscription de Rotherham (nord-est de l’Angleterre, ndlr) où vivent 10 000 citoyens musulmans. Leurs imams et les membres des conseils de mosquée sont des hommes de paix. Ils apprennent à leurs enfants à réciter le Coran tout comme on m’a appris à réciter la messe en latin quand j’étais enfant de chœur. Les musulmans britanniques connaissent la différence entre leur foi et les idéologies de l’islamisme.
Quand David Cameron nie le concept de l’islamisme, al-Banna et tous les pères fondateurs de l’islamisme se tordent de rire dans leur tombe. Mais, aussi mesurée et impressionnante qu’ait été la réponse du gouvernement (et pour être honnête, celle de Cameron) face aux tentatives d’atrocités à Londres et à Glasgow, le fait est que le gouvernement travailliste, Whitehall et toute la classe politico-médiatique en Grande-Bretagne ont été très lents à prendre conscience de la nécessité d’une confrontation intellectuelle et idéologique avec l’islamisme.
J’en ai fait l’expérience de première main quand, en novembre 2003, en tant que ministre aux Affaires européennes, j’ai prononcé un discours après que des terroristes islamistes eurent conduit un camion suicide à l’intérieur du consulat britannique à Istanbul, tuant énormément de gens, principalement des Turcs. Au même moment, un jeune homme du Sud Yorkshire avait été conditionné par des islamistes pour devenir candidat à l’attentat suicide à Tel-Aviv.
J’ai exprimé ce qui me paraissait être des banalités, disant que l’on devait choisir entre «la règle démocratique de la loi, si vous préférez la façon de faire britannique, turque, américaine ou européenne, fondée sur le dialogue politique et la contestation non violente, ou la méthode des terroristes, contre laquelle le monde démocratique tout entier s’unit désormais. Nous devons nous éloigner du discours des martyrs et j’espère que nous verrons s’affirmer plus clairement et avec plus de détermination qu’il n’y a pas d’avenir, où que ce soit dans le monde, pour aucune cause musulmane qui valide ou soutient implicitement l’usage de la violence politique de quelque façon que soit». Lus aujourd’hui, ces propos sont tellement évidents que tout député les approuverait. Il y a quatre ans on les a considérés comme provocateurs et inacceptables.
Des « experts» ont écrit des articles pour me dénoncer. Au sein même du Foreign Office (ministère des Affaires étrangères), on m’a enjoint de négocier, avec un représentant du Conseil musulman de Grande-Bretagne, une rétractation partielle de ma déclaration. Je regrette maintenant d’avoir temporisé, en raison de l’émotion véritable que je ressentais chez mes amis musulmans du Yorkshire et, bien sûr, parce que tout homme politique souhaite conserver son mandat. Maintenant, nous n’avons plus d’excuse. Si les ministres et les députés veulent savoir d’où vient le terrorisme, ils peuvent lire le livre de Ed Husain, l’Islamiste, au sous-titre auto explicatif, «Pourquoi je me suis engagé dans l’islam radical en Grande-Bretagne, ce que j’y ai vu de l’intérieur et pourquoi je l’ai quitté.» Husain est l’un des musulmans britanniques, de plus en plus nombreux, qui disent la vérité.
On peut lire, dans un numéro récent de la revue Prospect (magazine libéral de gauche), le reportage remarquable de Shiv Malik sur le factionalisme islamiste qui a pris le contrôle des fauteurs d’attentats à la bombe du 7 juillet, arrêtés à Leeds.
Contrairement aux non-musulmans qui ont essayé d’évoquer les problèmes avant que le monde politico-médiatique complaisant ne soit prêt à les écouter, ces témoignages actuels des musulmans britanniques ne peuvent être réfutés.
Ils ne sont pas comme Tariq Ramadan, le petit-fils de al-Banna, qui écrit avec révérence sur le père fondateur de l’islamisme. Récemment, la revue Prospect a publié une interview-portrait bienveillante de Ramadan. Le mois dernier, le rédacteur en chef du magazine, David Goodhart, lui a adressé une lettre ouverte après que Ramadan eut condamné une rencontre à Downing Street qui comprenait des leaders musulmans opposés à l’islamisme.
Goodhart a fait valoir que ni la politique étrangère ni les attitudes racistes dans une Grande-Bretagne où les citoyens musulmans ont des vies plus libres que dans n’importe quel autre État musulman, ne peuvent justifier les attaques constantes sur la démocratie britannique de la part des idéologues islamistes.
Ramadan n’a pas daigné répondre. Il reste cependant consultant à Whitehall, en dépit de son refus d’appeler à l’abolition de la lapidation à mort des femmes suivant la loi de la charia.
Mais le refus de contester l’idéologie islamiste a fait son temps. Il y a une détermination nouvelle au gouvernement à énoncer les dures vérités.
Et bientôt quelqu’un expliquera à David Cameron que l’idéologie islamiste et les crimes de la terreur islamiste existent bel et bien, et qu’ils représentent un défi fondamental à toutes les valeurs que les citoyens britanniques, de toutes confessions ou d’aucune, et la Grande-Bretagne défendent.
© Libération
Traduit de l’anglais par Jean-Charles Burou